Il y a un mois et deux semaines précisément, je partais de Saint-Jean-De-Luz. Me voici maintenant en Algarve après 900 milles nautiques de navigation. Retour sur un beau voyage plein de vie, fort en paysages et fort en émotions.

Vous serez peut-être un peu déçu des photos. Je ne suis malheureusement pas bien équipé pour cela. Les photos ici présentes ne donnent qu’un bref aperçu de loin des paysages rencontrés.

La côte nord de l’Espagne

Le mouillage de Lekeitio, pays basque espagnole

Le pays Basque est réputé pour être un peu capricieux au niveau du vent. Effectivement, toute la région allant d’Arcachon jusqu’à Bilbao est souvent sans vent bien établi, j’étais alors bien content d’être sorti de cette zone. J’ai pu profiter d’une superbe fenêtre de vents portants de Bilbao à Viveiro.

Ce furent des navigations faciles et très appréciables où j’avais peu à faire que d’admirer le paysage. J’ai vu notamment Los Picos De Europa depuis la côte, c’est une chaîne de montagne située entre Santander et Gijòn qui doit vraiment valoir le coup d’être visité en randonnée. Toute la côte est jolie. Ce sont des falaises avec parfois des petits villages perchés là-haut, des petits villages de pêche et quelques criques.

Il semble être bon de vivre ici, mais j’avance car l’automne arrive à grands pas et je ne veux pas m’attarder trop longtemps dans le golfe de Gascogne.

Gijòn, la cité du cidre

Je suis resté trois jour à Gijòn. C’est un mécanicien de marine marchande retraité qui m’avait conseillé de visiter cette ville. Je l’avais rencontré sur le ponton de Lorient, il avait son bateau qu’il avait lui-même construit. D’ailleurs, c’est lui aussi qui m’avait donné plein de conseils pour l’entretien de mon moteur. Je me suis donc payé le luxe d’aller au port pour visiter et faire la vidange du moteur.

Arrivée au au port de Gijón en Asturies.

J’ai été accueilli par un Belge qui m’a aidé à amarrer Øya, il fait la même route que moi mais dans l’autre sens. C’est ensuite un Luxembourgeois, puis un Suédois avec qui j’ai pu pratiquer mon Norvégien et enfin deux bateaux Français. Gijòn est une destination habituelle pour atterrir après la traversée du golfe de Gascogne. Ça fait plaisir de revoir des gens voyager et vivre à bord comme moi, la dernière fois c’était les copains à l’île d’Yeu ! En fait la très grande majorité des voyageurs ne contournent pas le golfe de Gascogne comme j’ai fait. D’ailleurs je trouve qu’ils ont raison !

La barrière de la langue

Si Gijòn ne me dépaysera pas pour sa spécialité qui est le cidre, le premier choc culturel fut la langue. Je ne parle pas un mot d’Espagnol et rares sont les Espagnols qui parlent Anglais. C’est rapidement compliqué.

Le cidre gijònais

Je me retrouve avec ma bouteille de cidre à une table, je croyais avoir commandé un verre. Une cliente me parle en Espagnole avec beaucoup de vivacité, manifestement je ne bois pas le cidre comme il faut. Après 10 minutes d’explications en Espagnole et des mimétismes j’ai enfin compris le service adéquat du cidre: il faut utiliser le verre et le bec-verseur fourni par le serveur pour aérer le cidre. Il faut donc faire couler le cidre de très haut dans le verre, et surtout ne pas servir plus d’un centimètre. Plus tard, j’observerais les serveurs sur des terrasses se voulant plutôt classes faire le service derrière des genres de pissotières pour ne pas en mettre de partout.
Curieuse tradition, je suis peu convaincu par leur cidre éventé…

Le mec seul

Je remarque quelque chose. Depuis la Bretagne je constate que les serveurs ne me voient pas ! Je n’existe pas: ils regardent vers moi, voient mes voisins mais moi non, même quand je les appelle ! Il me faut toujours rentrer dans le café pour leur dire de venir me voir. Quand ils sortent il balayent du regard toute la terrasse une ou deux fois pour enfin me voir.

Un mec seul ? Tu le mets tout au fond à gauche dans l’ombre entre la porte du service et celle des chiottes.

Le restaurateur lambda

Là en Espagne c’est pareil, je ne sais pas s’ils ne font pas exprès, mais ils le font !

Bon voilà, la citadelle est jolie, c’est une ville qui vaut le coup, adiós !

Record de vitesse en direction de Viveiro

Record de 9,5nd sur une heure entre Figueiras et Foz

En l’espace de quelques jours j’ai pu battre mon record de vitesse grâce à une légère houle venant des 3/4 arrières et à un vent soutenu et régulier. J’enregistre un record de 9,5nd en route fond sur une heure, c’était au large de Figueras et de Foz. Je n’y croyais pas et vérifié plusieurs fois mais les points GPS ne mentent pas, ça c’est bien produit. Même en Admettant qu’il y avait 1nd de courant en ma faveur, je suis quand même satisfait de mon bateau en acier.

On est le 8 septembre lorsque je mouille l’ancre dans la rià de Viveiro, je sais que c’est la fin de la première partie du voyage. Je suis satisfait de cette route, c’est passé vite mais il en reste beaucoup. La Galice m’attend et ses côtes sont réputés plutôt techniques.

Couché de soleil dans la rià de Viveiro.

La Galice, l’automne

Fier de mes performances sur la côte nord, je lève l’ancre de la rià de Viveiro pour aller à Cedeiro et fouler la terre Galicienne. Entre moi et ma destination se trouve le premier cap que je vais franchir de ma vie de marin. Un cap du nom de Ortegal dont je n’avais pas spécialement entendu parler, qui est l’extrémité septentrionale de l’Espagne. Je ne suis pas préparé et je suir en train de faire du pain tranquillement dans une mer belle voire calme quand soudain le vent se lève à 20nd et plus. C’est donc ça le passage d’un cap ! Je réduis la surface de voile, j’affale la voile d’avant plutôt que de la changer… C’est pas très propre, mais le pain n’a pas brûlé pour autant !

Arrivée à Cedeiro

Je garde un très bon souvenir de Cedeiro, une petite ville sympa où les serveurs ne me voient pas non plus. Un mouillage très bien protégé sans aucune houle.

Deux semaines d’attente

Le système a changé: la dorsale anticyclonique qui me donnait ce vent portant pendant plus d’une semaine est partie. Un système dépressionnaire mal établi mi-été / mi-automne a eu pour effet de ne pas avoir du vent exploitable. Je suis donc resté presque deux semaines à Ferrol et La Corogne.

Castello de San Felipe, Ferrol, Galice

J’en ai profité pour travailler, visiter la forteresse de San Felipe et changer les filtres à gazole du moteur. Je ne croise pas grand monde, il fait gris et frais, l’eau est sale et froide, je m’ennuie un peu. Depuis Gijòn je n’ai parlé à personne. La semaine d’avant c’était encore les vacances d’été tandis qu’ici l’ambiance est à l’automne et à la rentrée. Certes, c’est cohérent avec le calendrier…

C’est au moment de présenter mes papiers à la capitainerie de La Corogne que je reconnais Manon des Glénans ! Elle convoi « le bateau d’un pote » depuis l’Algarve jusqu’à Concarneau. Raphaëlle, qui avait fait la même formation que moi, la rejoint le lendemain.

Après une soirée dans un bar punk de La Corogne, nos chemins se séparent: je pars vers le sud, elles repartent vers le nord. Elles subiront d’ailleurs un coup de vent mémorable dans le golfe de Gascogne. Je recevrais des nouvelles après deux jours d’inquiétude, apparemment c’était assez technique de changer de voile d’avant sur le bout dehors dans des vagues de sept mètres…

La costa del morte

Je quitte enfin La Corogne a une vitesse de 1,5nd dans un filet d’air timide qui me hâle vers l’ouest. C’est lent et pénible: 4 voiliers me doublent au moteur. Je passe la nuit dans un mouillage sympa à Malpica, mais je languis déjà de lever l’ancre à l’aurore pour pouvoir avancer au moins jusqu’à Laxe.

Départ de Malpica, cabo de San Adriàn

À l’aube, je passe entre les îles Sisargas et la côtes. C’est un instant tout simplement magique: sous voiles, avec les lumières extraordinaires, je passe dans ce superbe paysage. La houle se fracasse contre les rochers ici et là, ils sont à la fois suffisamment proches et suffisamment lointains pour que le moment soit mémorable sans être inquiétant.

Les îles Sisargas, juste avant de passer entre elles et la côte

Satisfait de mon départ je poursuis ma route puis le vent s’arrête à nouveau, c’était prévu. Une renverse est sensée se produire et je suis dans l’entre deux. J’attends donc dans une mer d’huile en dégustant mon omelette aux patates. Quatre dauphins viennent jouer autour d’Øya à plusieurs reprises, c’est une bonne compagnie ! Comme les prévisions sont bonnes je décide d’avancer un peu plus loin jusqu’à Muxia et non Laxe. C’est le dernier port avant Cap Finisterre, l’extrémité ouest de l’Espagne.

Pendant mon avancée, j’entends à la radio un appel pan pan d’un voilier français appelé Atao. Il est en avarie de gouvernail, à 15Mn au sud de moi. Je me serais bien dérouté pour lui, mais c’est trop loin pour moi et d’autres se proposent avant moi.

Plus le temps passe plus je me rends compte que je ne rencontre pas du tout les conditions annoncées par le bulletin météo. Le vent est contraire, plus fort et ça se dégradent. Au final j’aurais passé 5H contre vent et courant pour rentrer dans la rià de Muxia. Une arrivée de nuit imprévue et sous la pluie est toujours un moment fort ! Slalomer entre les bateaux de pêche qui sortent de la rià contribue d’ailleurs au plaisir… Si j’ai eu du mal à distinguer dans la pluie le tout petit feu à secteur qui indique le droit chemin entre les rochers, je n’ai pas eu de mauvaise surprise ! C’était bon d’arriver et dormir au chaud pendant que c’est le déluge à l’extérieur.

Cette côte porte bien son nom !

Les orques s’en mêlent

Le lendemain, je range calmement mon bateau puis j’accoste avec mon annexe sur la plage. J’ai à peine posé le pied sur le sable qu’un Français vient à ma rencontre. On sympathisera, c’est un champion de ski de fond qui a voyagé quasi partout dans le monde et qui me voit déjà arriver au Brésil. Je recevrais aussi et plus tard la visite de Xulia, une des stagiaires de mon premier stage que j’avais encadré aux Glénans, elle est Galicienne. J’aurais finalement croisé pas mal de monde en Galice !

Le mouillage de Muxia, fort sympathique !

Alors que ma fenêtre météo arrive, j’apprends dans la quincaillerie du coin que le gouvernement espagnole interdit la navigation des voiliers à cause d’attaques d’orques. Ça commence à être pénible ! D’ailleurs, il est probable que le gouvernail d’Atao ait en fait été endommagé par une de ces attaques d’orque…

Je trouve non sans mal le message officiel du ministère et le lis en détails. L’interdiction concerne la région au nord de la Corogne, et moi je suis au sud. Le dimanche 27 septembre au matin je quitte l’Espagne en direction de cap Caboveiro au Portugal, 250Mn plus loin, cap plein sud.

Vue sur le port de Muxia, vous noterez qu’Øya est le tout petit point blanc au fond en dehors du port, pour ne pas payer !

J’ai fait le choix de partir au large pour quitter la zone des orques et de ne pas m’arrêter visiter les îles atlantiques. Je préfère reporter ça à une autre fois où je pourrais pleinement en profiter. Pour l’heure il était question d’avancer vers le sud, vers l’été.

Le Portugal, l’été

Cap Carvoeiro, après deux jours et deux nuits de navigation.

Après 2 jours et 2 nuits en mer je m’arrête mouiller à Péniche d’où je travaillerais. Puis encore un saut de puce pour Caiscais à côté de Lisbonne. Je consacre mon samedi à visiter la ville car si je suis passé devant Porto sans m’arrêter, je ne manquerais pas Lisbonne.

Lisbonne

Une jolie ville

S’en est fini du Vincent radin qui ne veut pas payer les trucs à touriste. Je vais dans la basilique de Sée, je paye le musée, ensuite je vais visiter le château et je paye l’entrée, puis une carte postale et même un restau’ ! C’est pas grave je suis touriste, j’assume !

Les serveurs attendent leur clientèle sur leur terrasse et proposent leurs menus aux passant. Je suis sceptique au début, mais je vois qu’ils font ça avec tout le monde. Les locaux discutent avec eux et rigolent. C’est tout simplement une bonne ambiance. Je prends le déjeuner dans un petit restaurant sans prétention. Sur la terrasse un homme me propose du shit et de la cocaïne, je refuse poliment. Il revient 5 minutes après, je refuse à nouveau. Puis une troisième fois, et je lui dis simplement mais fermement « go away ». Cette fois il disparaît pour de bon ! Je me demande bien pourquoi il ne demande pas aussi à l’autre gars sur la table d’à-côté ? Le menu était excellent et pas cher.

Lisbonne, vue depuis le château São Jorge

Je flâne, je visite les ruelles, c’est une jolie ville et les Portugais ont l’air vraiment sympathiques. Il y a énormément de d’Allemands et de Français, c’est une capitale après tout.

La cité des dealers

Je vais boire une bière dans un bar le soir, puis c’est bien à 5 reprises que l’on me propose de la cocaïne de manière très insistante et avec toujours le même discours et une fois de l’éroïne.

Special price only for you, you’re french you like cocain I know it.

Les dealer de Lisbonne

Je croise un Français sur-excité qui manifestement a consommé la substance du démon, j’ai honte. Un dernier dealer s’adresse à moi et je le renvois dans ces bottes. J’en ai marre et décide donc de reprendre le train pour Caiscais, j’ai vu ce qu’il y avait à voir et ça ne sert à rien de s’énerver pour ces idiots.

Il est 21h, je regrette l’Espagne où personne ne me voyait.

Le Covid à la Suédoise

À Caiscais, en rentrant au bateau je vois un pub Irlandais où il a l’air d’y avoir une superbe ambiance avec un concert. Je rentre, passe ma commande et le groupe s’arrête de jouer. Pas grave, la bière est pas mal.

Tient ça parle Suédois à côté, formidable je vais pouvoir taper la discut’ en Norvégiens !

Je me présente et deux des trois gars ne me voient pas en partant fumer leur cigarette. Le troisième est complètement cuit mais je tente tout de même une discussion. Il m’invite chez lui et me demande si je suis vraiment sûr de ne pas être intéressé par les hommes. Puis il me tousse dessus.
J’avais effectivement entendu dire qu’ils géraient le Covid-19 différemment en Suède, mais là à ce point…

Je vais au bar pour me passer une douche de gel hydro-alcoolique devant le regard intrigué de la jolie serveuse avec qui je ne parlerais pas et cette fois je rentre au bateau pour de bon.

La civilisation, c’est nul !

En quittant le port je rencontre un bateau Belge dénommé Marie. Son équipage fort sympathique part faire le tour du monde par les trois cap. À l’heure où je rédige cet article il sont aux Canaries, ça donne envie !

Dernières navigations avant l’Algarve

J’ai l’impression d’être à nouveau en été depuis le cap Cabo Da Roca: le ciel est bleu, le baromètre rarement en dessous de 1020Hpa, et en plus il y a quasiment toujours du vent en provenance du nord… Ce sont les alizés portugais.

Je quitte Caiscais le 7 octobre pour Sesimbra. Puis je quitte Sesimbra le 9 pour Sines. Je croiserais en mer un bateau qui me doublera chaque jour, il s’agit de Jollity. Un couple Suisse qui en passant fait quelques clichés d’Øya avec leur drone. On se retrouvera plusieurs fois au mouillage, c’est sympa ! Eux, ils partent pour la Nouvelle-Zélande via Panama.

Photo gracieusement offerte par Jollity. Prise au passage du cap Espichel.

Navigation dans le petit temps

J’ai été agréablement surpris par les performances en Asturies. Là-bas j’avais un vent soutenu, or sur cette partie du trajet il était bien plus faible. Øya est lente dans ces conditions et j’ai souvent eu le goût amer de la frustration et de la jalousie. Notamment, j’ai vu Jollity partir deux heures après moi, me doubler sous spi asymétrique, faire une magnifique vidéo par drone de cette pilule, pour ensuite arriver trois ou quatre heures avant moi.

Il me faut un spi

Journal de bord

J’ai souvent écrit cette phrase dans le journal de bord. Le spinnaker est la plus grande voile du bateau et aussi la plus belle. J’ai navigué à maintes reprises dans les conditions idéales pour établir cette voile… Mais voilà, il faut que je fasse des petits travaux pour pouvoir la hisser. Ça fait quelques mois que cette modification fait parti du programme d’amélioration. Elle sera faite, et bientôt !

Jollity sur la gauche, a son spi asymétrique, cette grosse bulle bleue qui le propulse à 6-7 noeuds pendant que moi je à 3-4 noeuds. Photo offerte gracieusement par Jollity.

Cap Saint Vincent, porte d’entrée de l’Algarve

Je quitte Sines le 10 octobre au soir car il y a 65Mn à faire. Je passe le début de la nuit à bouchonner sans vent. Il faut savoir que lorsqu’il n’y a pas de vent et un peu de houle, c’est une position très inconfortable car le bateau roule. C’est aussi très irritant car les voiles claquent, l’accastillage grince et les cordage couinent. J’affale la grand-voile pour qu’elle arrête de s’abîmer inutilement et surtout que ce bruit insupportable le devienne un peu moins. Je trouve l’astuce de laisser le génois hissé et tangoné, ainsi il fera peu de bruit et lorsqu’il y aura une risée le bateau partira tout seul dans la bonne direction. Le vent fini par s’établir vers 1H30 du matin et j’avance alors doucement vers le dernier cap de mon périple, qui porte d’ailleurs mon nom.

Malgré cela, le Cap Saint Vincent ne m’épargnera pas. Si j’avais trop peu de vent au départ, l’effet de cap m’accueillera ici avec 25 noeuds comme il le fait à tout le monde. Fort de mon expérience à Ortegal, j’avais cette fois-ci bien préparé mon coup: en 10 minutes je réduit la toile progressivement, tout s’enchaîne comme sur du papier à musique, je suis très content de moi ! Mais, au moment où je dois prendre le troisième ri de la grand-voile, sa bosse fait une queue de cochon au bout de la bomme. Comme celle-ci est au dessus de l’eau, me voilà coincé. Il faut changer le génois lourd pour la trinquette mais j’ai perdu du temps à essayé de prendre mon troisième ri. Tant pis, je suis contrarié donc j’affale le génois et fini et les 500 derniers mètres au moteur. Encore raté !

Je mouille au milieu de falaises aux couleurs magnifiques, à terre la végétation rappelle celle de la Garrigue: je suis en Algarve.

Le début de la fin

Ici, je rencontre deux autres équipages sympas: une famille Écossaise et un sacré personnage Allemand. Lui, a voyagé depuis le nord de la Norvège jusqu’ici en apprenant la navigation sur Youtube. En fait il a acheté un bateau parce que son van est irrémédiablement tombé en panne. On se rencontrera à terre et à chacun de nos bords pour l’apéro. Eux continueront leur voyage vers Madère ou les Canaries.

Le voyage est terminé, maintenant il faut bosser.

Encore une petite navigation le long de la splendide côte et je me retrouve à Lagos. C’est ici, entre Lagos, la lagune d’Alvor et Portimão que je passerais l’hiver. Mon objectif est de faire fonctionner mon auto-entreprise, c’est une partie du projet qui me tient à cœur et que j’avais hâte de commencer !

Petit sieste dans mon annexe à la Ponta da Piedade, à côté de Lagos.

Alors, ça te plaît?

Ce voyage est l’aboutissement de ce vilain projet dans lequel je me suis lancé il y a deux ans. Aussi, c’était un convoyage: atteindre l’Algarve pour y travailler tout l’hiver. En parallèle, pendant le voyage je travaillais déjà à temps partiel, c’était bien l’idée initiale. C’était un grand saut dans l’inconnu.

Voyager sans objectif de visite

Je suis parti sans objectif touristique particulier: je profite du présent en découvrant des paysages formidables, en visitant une métropole, un pittoresque petit village, une forteresse du moyen âge. J’ai fait tout ça et c’est fabuleux !

Nombreux sont les dauphins qui m’ont tenu compagnie pendant mes navigations. On ne se lasse pas de leur sympathie !

L’inconvénient dans cette approche est que l’on ne fait que des visites superficielles. Pour descendre à terre et faire un trek d’une semaine par exemple, il faut prévoir un minimum car ça demande de la logistique. Il faut mettre le bateau en sécurité, savoir où aller, éventuellement en bus, savoir si l’on peut planter sa tente n’importe où etc.

C’est dommage de passer à côté sans s’arrêter

Toute la côte que j’ai longé est magnifique. On a envie de visiter tous ces endroits dont tout le monde vante la beauté. Mais il faut se rendre à l’évidence: on ne peut pas s’arrêter de partout car cela prendrait toute une vie !

Je me suis souvent retrouvé face à moi même, très souvent dans des moments d’indécision où je n’arrive pas à trancher, à savoir ce que je veux. Parfois quand je décide je suis finalement insatisfait, j’en reviens à regretter ma décision voir à broyer du noir. Quand les conditions ne sont pas bonnes, que j’ai fini mon travail et n’ai plus rien à faire, je me suis quelques fois demandé « ce que je foutais là ». C’est un rythme inhabituel où tout change tout le temps auquel il faut s’habituer.

Pour résumer, mieux vaut faire des choix à l’avance, dissocier la partie vacances de la partie convoyage. Ça parait évident.

Faire des milles

J’adore partir et j’adore arriver.

J’ai constaté que je n’avais aucun problème à faire des traversées sur plusieurs jours. Au contraire je suis plutôt bien au large. Je m’occupe du bateau, je pense tout en regardant l’horizon, le sillage d’Øya, le jour et la nuit se succéder. J’essaye de comprendre les nuages et la mer, leurs évolution. C’est en fait une méditation sur plusieurs jours. Même si je ne dors jamais plus de 15 ou 20 minutes, je prends le rythme assez facilement. Je suis à chaque fois surpris de constater qu’une fois arrivé je ne dors pas spécialement plus, je refais des nuits normales comme si de rien n’était.

Quelque part au large

Quand des milles ont été parcourues il y a un dépaysement et un sentiment d’accomplissement qu’il n’y a pas quand on fait du cabotage. Quand on fait du cabotage, c’est à dire des petits sauts de puce, le paysage change lentement et ça en devient un peu monotone. En plus, en naviguant à la journée je me suis aperçu que je devenais impatient d’arriver.

Pour résumer c’est assez simple: quand arrive le moment où tout me semble penible, je pars et quand j’arrive tout va mieux !

Hors du temps

Je me suis souvent demandé ce qu’avaient tous ces marins à philosopher sur la mer. Maintenant que j’y suis confronté un peu mieux, je me surprends régulièrement de faire des découvertes sur moi-même.

Quand je fais du cabotage, il y a les moments où tout est splendide et où tout fonctionne à merveille, puis d’autres où la fatigue se fait sentir même après une grosse nuit de sommeil. Il y a ces moments où l’on a pas le vent que l’on attendait, alors il faut rester patient et regarder tous les autres me doubler. Eux, avec leurs bateaux en plastique tout légers et leurs voiles en carbones qui surfent dans 5 noeuds de vent.

Force est de constater que sur l’eau on peut s’en prendre à soit-même et rarement à la fatalité. Quand un souci arrive ce n’est jamais par la faute des éléments, ils sont ce qu’ils sont. Ce n’est pas non plus la faute du matériel car c’est nous même qui l’avons choisi. Quand ces règles règnent sur le quotidien, la confusion dans laquelle on baigne en société s’atténue et il devient plus facile de distinguer ce qui pour nous est essentiel de ce qui est superficiel.

À bord du quartz

Il m’arrive d’avoir des souvenirs qui me reviennent sans prévenir, comme si je les revivais. Mes meilleurs souvenirs d’enfance se sont construits pendant les neuf premières années de ma vie à bord du Quartz, notre voilier familial. En si peu d’années j’ai eu la chance de goûter aux meilleures choses de la vie: la famille, les amis, la nature, l’eau, l’air, le confort, le danger, l’inconfort etc.

Le bonheur, celui-là en tout cas était resté intact comme si j’avais décidé de le laisser dans la mer quand j’avais huit ans, juste avant qu’on vende le Quartz. C’est vingt quatre années plus tard, après avoir tout lâché que de temps en temps un petit artefact aussi fugace qu’impalpable ressurgit de l’eau et se présente à moi. C’est précisément dans ces moments-là et seul, sans personne pour me perturber que je savoure et reprends mes marques. Je n’avais manifestement pas tourné la page du Quartz !


C’est cool le bateau, il n’y a rien de vilain là-dedans !