La plupart des voiliers à coque acier ont une quille creuse, à l’intérieur de laquelle est installé le lest.

Cette quille est parfois source d’angoisse pour les propriétaires car on n’a pas de visuel sur l’acier à l’intérieur à cause du lest. Par conséquent on ne peut pas contrôler les éventuels départs de rouille à cet endroit.

Travailler dans la quille signifie retirer tous les planchers, et passer des heures à opérer dans l’inconfort.

La rouille

Pourquoi y en aurait-il là dedans ?
Parce que c’est une réaction chimique qui se produit entre le fer de l’acier, l’eau et l’oxygène, cf. mon précédent article « comment choisir son voilier« . Donc sur une structure métallique toute partie exposée à l’eau et à l’oxygène se détériorera par la rouille. L’air contient les deux, donc partout où elle se faufile, elle apportera l’eau susceptible de se précipiter par condensation.

Lest hermétique

La question du lest est centrale si on considère le problème de la rouille. C’est lui qui prend toute la place empêchant de voir et traiter la rouille.
Souvent, la stratégie est de tenter d’avoir un lest qui ne laisse aucun accès à l’air. Pour se faire on trouve plusieurs méthodes, et je ne suis pas en mesure de toutes les énumérer. Une méthode dont j’ai entendu parler plusieurs fois consistait à noyer du plomb dans un enrobage. Beaucoup de chantier ont utilisé du ciment, des particuliers de la résine type époxy tandis que d’autres ont fait autrement. J’ai visité un Vulcain V dont le propriétaire avait directement fait fondre le plomb et déversé ce dernier dans la quille.

Étanchéité faillible

En ce qui me concerne, le chantier d’Øya avait utilisé du ciment. Selon ce que j’ai lu sur le net cette méthode est obsolète. Nombreux sont les propriétaires qui ont refait le lest de leur bateau et Øya n’y a bien entendu pas échappé.

L’ancien propriétaire a donc :

  • Vidé la quille du précédent lest, autant que faire se peut
  • Appliqué un traitement anti-rouille à l’intérieur de la quille
  • Posé de la fibre de verre en haut de quille, au niveau de la jointure du lest avec l’air
  • Réutilisé les lingots de plomb de l’ancien lest
  • Déversé de l’époxy avec que des billes de plomb supplémentaires
  • Fait une jointure au dessus de tout ça constituée d’époxy et de sable de quartz

Malheureusement cette méthode est aussi devenu impopulaire… La résine aurait aussi tendance à se rétracter avec le temps et donc de laisser des infiltrations d’air se faire. La conséquence étant des départs de rouille entre le lest et la quille, endroit bien inaccessible !

Le vers dans la pomme

C’est clairement ce qui commence à se passer sur Øya. Plus précisément, c’est entre l’acier et le traitement anti-rouille que la rouille se forme.

Le tournevis pointe la jonction entre du lest avec l’acier de la quille. On y voit la rouille s’y être logée sans aucun problème.

En fait, l’erreur qui a été faite ici était de trop faire confiance au traitement anti-rouille. Celui-ci est efficace en effet, mais pour une durée de temps limitée. Il semblerait que fatalement un beau jour, la rouille fera son apparition même derrière le meilleur des traitements. Le souci majeur dans cette situation est que même avec la meilleur étanchéité mise en œuvre, c’est l’acier lui-même qui se « transforme » en rouille. Donc à partir du moment où un endroit même infime commence à rouiller, elle se propagera dans l’acier.

Réparation

La théorie

Pour corriger le tir, je retire tout l’anti-rouille comme sur une autre partie du bateau. À savoir je tapote du doigt dessus, et dès que je tombe sur une cloque je la retire avec un tournevis plat. À partir de là le traitement s’écaille, et j’enlève tout ce qui s’effrite facilement.

Quand on arrive au niveau du lest, on ne peut plus gratter, c’est bien tout le problème. Alors, plutôt que de retirer le lest – ce qui serait pour le moins extrêmement compliqué – je vais tenter de faire une saignée de 3 ou 4mm de large en forme de biseau à la jonction du lest et de l’acier. Cette saignée me permettra dans un premier temps de confirmer si la rouille se propage bien là dedans ou non. Quoi qu’il en soit et surtout, elle permettra de verser de l’antirouille le long de la paroi. Fortement dilué celui-ci devrait se propager au mieux au sein de la rouille, par capillarité.

Avant de m’être décidé, j’ai bien sûr demandé l’avis d’un professionnel qui a validé cette approche.

La mise en application

Le lest étant un bloc extrêmement solide, faire cette saignée n’est pas un mince affaire. J’ai pu glisser la dedans une disqueuse et faire une première saignée. Premier constat, la disqueuse avec un disque de découpe de métaux est extrêmement efficace sur l’époxy. Ensuite, il est facile de casser le restant d’époxy pour terminer le biseau entre le lest et l’acier de la quille, un tournevis plat fait l’affaire. Second constat et on s’y attend bien, la rouille poursuit bien son chemin entre le lest et l’acier de la quille.

Étant donné la difficulté d’accès au lest, je n’ai pu faire cette fameuse saignée qu’à l’avant de la quille. J’ai donc directement appliqué le traitement sur-dillué partout ailleurs en faisant de mon mieux pour que ça rentre. D’ailleurs concernant le traitement, bien que sur-dillué, je doute très fortement qu’il pénètre en profondeur. Si tel est le cas, je ne miserais pas sur plus de 5 mm en étant optimiste.

Je reviens sur cette intervention dans la conclusion de cet article.

Ma solution

Je me suis posé la question « qu’est-ce que j’aurais fait » à la place du chantier ou de l’ancien propriétaire. Ni le ciment ni l’époxy sont des solutions efficace dans la durée.

Pourquoi lutter contre la nature ?

Ce qui me gène dans le lest voulu étanche est que justement la nature a horreur du vide. Quoi que l’on fasse, tôt ou tard un vide se créera, et la nature l’emportera. Et quand bien même nous parvenons à faire une étanchéité parfaite, il viendra un jour où on doutera. « Je crois ce que je vois », et je ne suis pas le seul…

Donc selon moi il me semble d’entrée erroné de mettre en application une solution qui condamne l’accès à la tôle. J’écarterais complètement l’idée de faire un lest permanent.

Par conséquent, je m’orienterais vers un lest amovible. Ça peut sembler farfelu à première vue, mais pourquoi pas ?

Mise en œuvre d’un lest amovible

Note: Je parle ici d’une méthode hypothétique, que je n’ai pas testé. Autrement dit, je réfléchi ici à voix haute., n’hésitez pas à commenter !

Pour se faire, il faudrait poser un revêtement dans la quille, un revêtement de quelques millimètres d’épaisseur et plutôt souple. Ensuite, poser des crochets à la verticale au milieu de chaque compartiment avant de couler du plomb une première fois. Une fois le premier étage coulé, on se retrouve avec un lingot dans chaque compartiment muni de son crochet. Ainsi, on peut les sortir un a un avec par exemple dune gaffe.
Pour le second étage et les suivants, on voudra éviter que le second étage vienne fusionner avec le premier. Surtout au niveau du crochet, on posera un revêtement temporaire qui marquera la limite entre les deux étages.
Procéder ainsi de suite jusqu’à ce que la masse voulue du lest soit atteinte.

Pour terminer, il faudrait implémenter un système de verrouillage. En cas de coup dur, ce serait dommage de se prendre 2 tonnes de lest sur la gueule pour qu’en plus le bateau reste à l’envers…

Cette idée est très certainement longe et fastidieuse à mettre en place, mais une fois terminé, le lest pourrait être retiré. Tous les cinq ans par exemple, il serait possible de faire une vérification de l’intérieur de la quille et de la traiter si nécessaire. Exactement comme on fait partout ailleurs dans une coque acier.

Et après tout…

Après une journée et demie de travail, j’ai appliqué une première couche de traitement qui refera l’étanchéité entre le lest et l’acier. Il ne restera plus qu’à ajouter les 4 couches suivantes… Et surtout poser un cierge pour que ça ne soit pas le festival de l’oxydo-réduction là-dedans !

Je suis plutôt optimiste car aux vues d’une tôle qui n’a pas été traitée depuis des années voir depuis la construction du bateau, l’état de celle-ci est plutôt rassurante. Elle est moche oui, mais elle n’a manifestement pas perdu tant d’épaisseur que ça et sa solidité ne fait aucun doute.

Donc au final, pourquoi s’embêter ? Traiter régulièrement au niveau de la jointure ralentira extrêmement (donc suffisamment) la progression de la rouille. Par contre, à la revente une bonne partie des intéressés voudront voir cette tôle, et ce sera impossible de leur montrer. Enfin, un lest permanent condamne en quelque sorte le bateau à une grosse opération qu’il faudra faire certainement très tard dans la vie du bateau.

Faites comme bon vous semble, il y en a pour tous les goûts !